Les Pagnon : Paysans boulangers dans les montagnes des Albères

Il y a quelques mois nous avons rencontré sur un marché en Catalogne sud la famille Pagnon, paysans boulangers dans les montagnes de Maureillas-Las-Illas. Sur leur étal, une variété extraordinaire de pains, légumes divers, tartes entièrement réalisées avec les produits de la ferme. Poussés par la curiosité, nous sommes allés à leur rencontre !

Le 19 Novembre 2023 au Mercat de la Terra de Castello d’Empuries

Polyculture et élevage au milieu de la forêt

Sur les hauteurs de Maureillas, nous nous retrouvons dans un environnement riche aussi bien sûr le plan naturel que sur le plan historique, marqué par exemple au 19ème siècle par la présence des Trabucayres, les bandits de grand chemin qui attaquaient les diligences allant de Barcelone à Perpignan. 

Ici, les Pagnon cultivent des parcelles situées à des altitudes différentes : au milieu de la forêt de chênes lièges pour les plus basses, jusque dans les forêts de hêtres et de châtaigniers à 700 m d’altitude. Ces terrains souvent pentus et isolés, avec peu de ressources en eau, ne font à priori pas rêver pour une activité agricole. Pourtant, à force de patience, d’observation et de travail, la famille a su comprendre ce territoire et tirer parti de ses qualités. 

Clairière maraîchère à basse altitude
Clairière maraîchère d’altitude entourée de noyers et bordée de culture de petits fruits

Ainsi, les parcelles d’altitude sont consacrées aux cultures faiblement résistantes à la chaleur comme celle des framboises, tandis que celles du bas sont davantage dédiées aux tomates ou autres cucurbitacées. Les parcelles les plus isolées par rapport à la ressource en eau sont dédiées à la culture du blé ou de plantes aromatiques pour la fabrication d’huiles essentielles. 

Clairière consacrée à la culture de plantes aromatiques pour la fabrication d’huiles essentielles
Forêt de hêtres à préserver en altitude

Concernant l’élevage, le mot d’ordre est à la diversification : chèvres, moutons, jument comtoise, mule, lapins, canards… La famille réalise des croisements judicieux dans leur élevage de 130 brebis afin d’avoir les bêtes les plus adaptées possibles à l’environnement local. En ce moment, un bélier Lacaune et un bélier Tarasconnais attendent patiemment l’heure de la reproduction ! Ils produisent depuis peu leur propre fourrage, à base d’avoine et de luzerne. Cette association permet aussi de régénérer des sols pauvres et compactés, grâce à la complémentarité de leurs systèmes racinaires.

Jean, Arielle et le bélier prennent la pose !

En résumé, la famille Pagnon produit une grande diversité de productions : liège, blé, fourrage, légumes, pommes de terre, fruits à coque, petits fruits, et bientôt fromage de chèvre, huiles essentielles. Leur objectif premier est d’atteindre une production alimentaire suffisante pour alimenter les besoins de la famille et vendre les surplus en circuits courts.

Culture de variétés anciennes de blé et panification

Parmi toutes les productions de la famille Pagnon, la principale est la culture du blé et la fabrication du pain. Les clairières de blé sont situées au milieu de la forêt de liège et sont fauchées à la main. Les variétés anciennes sont sélectionnées avec soin avec l’aide d’un syndicat Nîmois spécialisé dans la Touzelle, une variété de blé qui date du Moyen-Âge et qui peut monter à 1 m 80 de hauteur. 

Culture de fourrages et de variétés anciennes de céréales au milieu des chênes lièges

La famille sème une cinquantaine de kg de semences de blé, et en récolte environ 1 tonne, ce qui permet la fabrication de 1000 kg de pain. Le stockage du blé est délicat à cause de la présence potentielle du charançon. Ils amènent donc la récolte chez un collègue possédant une brosseuse à blé qui permet d’éliminer mécaniquement les charançons. Le blé est ensuite stocké dans une cuve hermétique dans laquelle on injecte du CO2. Le laurier sauce permet également de déparasiter le blé pendant le stockage.

Stockage du blé

Pour fabriquer la farine, les Pagnon sont équipés d’un moulin Astrié. Le blé contient 6 couches de son, dont les 3 premières qui sont indigestes pour l’homme, et les trois autres sont au contraire très riches en nutriments. Ils produisent 3 qualités de farine (T80, T110, farine complète), ainsi que du petit son. Le gros son est lui donné aux canards !

Le moulin à meules de pierre

Ces variétés anciennes contiennent naturellement peu de gluten, au contraire du blé actuel. D’ailleurs, le blé actuel, même bio, nécessite l’utilisation d’engrais azotés et de fongicides. Le blé subit une dégénérescence lorsqu’il n’est pas lié aux conditions naturelles. Evidemment, le pain réalisé par la famille Pagnon est un pain au levain !

Quelques fabrications boulangères présentées au marché

Récolte du liège

On lève le liège sur une hauteur correspondant à 2 fois la circonférence de l’arbre.

Vivre au milieu de la forêt, c’est aussi vivre avec elle. La famille Pagnon gère les forêts de chênes lièges qui les entourent en limitant les plantes invasives et valorisent également leurs ressources. Ainsi, ils ont une collaboration avec l’Institut médtierranéen du liège depuis plusieurs années. Tous les 8 à 12 ans, il est possible de retirer le liège qui entoure les arbres. 

Un chêne dont le liège n’a jamais été levé est un chêne liège mâle, tandis que les autres chênes sont des lièges femelles, dont le liège à repoussé. Les chênes lièges femelles sont plus facilement valorisables. Par ailleurs, il est intéressant de noter que le chêne liège est également un bon coupe feu pour lutter contre les incendies, un excellent bois de chauffage, et qu’il produit des glands peu tanniques valorisables pour l’alimentation humaine !

Un chêne liège blessé car le liège n’a pas été proprement levé par le passé.

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